Pied de nez aux machos...

 

Patti Smith , l'égérie d'une certaine scène new-yorkaise , friande de littérature française joue les Jeanne d'Arc du binaire. La Walkyrie androgyne et mystique , poétesse vouant une admiration illimitée à Rimbaud, embrase à coups de feulements rauques et de prestations scéniques tapageuses une Amérique encore anesthésiée par l'interminable ère hippie. La sorcière possédée par le démon du rock'n'roll, joue d'égal à égal avec les mâles du moment. L'un d'entre eux, Bruce Springsteen, lui offre même, avec Because the night, son plus gros hit. Comme dirait Simone de Beauvoir," on ne naît pas rockeuse, on le devient ».

Pourtant, rares sont celles qui ont réellement compté. Autant dire une poignée. On est obligé de s'y résoudre: le rock et les filles n'ont jamais fait bon ménage. Est-ce la faute du rock? Est -ce la faute des filles? Et si c'était d'abord la faute des garçons ? Le sexe dit faible produit d'excellentes groupies, de bonnes choristes et des bassistes... passables. Passez un quart d'heure avec un musicien de rock et vous n'entendrez que ça. Misogynes,eux? « This is a man's world », beugle James Brown, l'un des parrains de la mafia mâle. Personne n'a jamais compris, au juste, si sa chanson était un constat féministe ou un pied de nez macho. Imaginez un instant: vous êtes un être humain de sexe féminin. Vous êtes auteur-compositeur-interprète, ou leader d'une chouette bande de copines (ou de copains).

Vous êtes fière de vos morceaux, que vous avez confectionnés à la guitare, dans le secret de votre chambre de jeune fille . Vous les enregistrez et attendez avec impatience les retombées dans la presse spécialisée. A la lecture, surprise: vous croyiez jouer du rock dur, du folk-punk ou du funk-rap ? Rien de tout cela. Vous faites de la musique-de-fille. L'article s'agrémentera de commentaires paternalistes ou franchement sexistes. Dès les débuts du rock'n'roll, les rôles entre hommes et femmes sont clairement dévolus. La musique du diable faute avec le sexe et la séduction. Mais la séduction est ici masculine. Au mâle de séduire, à la femelle de s'incliner. Et vous, pendant ce temps, la fille- qui-veut-faire-de-la-musique qu'est- ce que vous devenez? Si vous êtes mignonne et bien balancée, vous pouvez faire fi de tous vos principes et choisir la voie du sois belle et chante le tube que je t'ai écrit. Ça peut rapporter gros.

Si vous avez de l'humour, vous ressemblerez peut -être à Debbie Harry, une ex-serveuse devenue un sex-symbol en campant les blondes ingénues perverses au milieu d'une bande de types en costards noirs, le tout baptisé Blondie. La première à choisir librement d'être un objet sexuel. Autre cas de figure. Vous en voulez, mais n'avez pas forcément un physique de poupée maquillée. Optez pour le rôle de victime, une espère en voie de disparition. Refaites le parcours de Janis Joplin, le Texas profond, la manche dans la rue, les hectolitres de tord-boyaux ingurgités, les matins glauques. Vous pouvez aussi vous improviser loubarde version toc, jouer les terreurs comme Suzy Quatro ou Joan Jett, avant de recevoir une raclée, le soir, par votre souteneur-producteur. Voici un meilleur conseil: soyez vous-même. Attrapez une guitare ou un piano, un crayon et créez. Laissez-vous pousser les cheveux, tentez l'intimisme et l'introspection, soyez la muse exigeante d'une génération, soyez Joni Mitchell. Ou si vous n'y parvenez pas, contentez-vous d'être Suzanne Vega.

Regardez le monde autour de vous. Il est triste et injuste? Voilà déjà une première chanson. Le monde vous semble vraiment trop injuste? Essayez de le changer. Participez, comme Joan Baez, à une marche pour les droits ou contre la guerre. Mais vous n'êtes pas comme ça. Votre fée, c'est l'électricité, votre credo, l'urgence, votre atout, une troublante allure de garçon manqué. Si vous vous appelez Chrissie Hynde, une autre Calamity Jane, alors, avant toute chose, procurez-vous une tenue en cuir noir. Formez un groupe baptisé, au hasard, les Pretenders, faites-vous respecter par des compositions rageusement élégantes, une voix envoutante et une forte personnalité, à mi-chemin entre la mère poule et l'amazone effrayante. Connaissez-vous Polly-Jean Harvey? Comme elle, surgissez d'un bled paumé dans la campagne anglaise avec la rage au cœur (tout le monde sera épaté), parlez cru, chantez bien et continuez à habiter chez vos parents, pour le contraste.

Dernière solution : soyez Madonna, cette Messaline controversée et grand symbole féminin de ces dernières années. Allez trop loin au goût de vos contemporains. Jouez avec Dieu et le sexe, le marketing et votre corps. Et on vous craindra. Mais, crime suprême, vous manquez parfois d'humour. Alors, telle Sineàd O'Connor, rasez votre crâne dans un imbécile mouvement de révolte. Les gens vous croiront illuminée ou sorcière. Raffolez des actes audacieux , comme déchirer en direct à la télé la photo du pape. On vous aimera bien tout de même, mais on aura peur pour vous. En définitive, soyez vous, une fille dans le rock.

Et n'oubliez pas ce que dit hypocritement ce cher James: « This is a man's world, but it wouldn't be nothing without a woman . » (C'est un monde d'homme, mais il ne serait rien,sans une femme )...

      Liberté-Dimanche Paris-Normandie août 2011 (photos copyright  Boris Maslard )